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  • Photo du rédacteurJ.-G. Heurteloup

Une table à thé en 1793

Dernière mise à jour : 3 oct. 2021

Par Christian Robardey-Tanner


La vidéo intitulée “Du Café.” qui porte sur l’almanach de Grimod de la Reynière et qui décrit la préparation du café en 1805 était due à une circonstance précise, à savoir l’acquisition d’une cafetière à la Belloy pour laquelle Heurteloup avait fait refaire un distributeur d’eau d’après une gravure contenue dans le fameux Journal des Luxus und der Moden ; travail de reconstitution admirable exécuté par un orfèvre bâlois. Cependant, ce furent aussi les échanges intenses avec sa chère amie Sabine Schierhoff qui lui inspirèrent l’idée de replacer cet objet de la vie quotidienne dans son contexte historique. Car c’est encore elle, documentaliste rompue aux recherches épineuses, qui l’avait renseigné sur l’histoire de ce type de cafetière ainsi que sur les pratiques relatives au café en général.


Or, à peine la vidéo eut-elle quitté l’atelier des Soirées Amusantes (LSA) que la muse Sabine depuis son Sauerland natal instigua Heurteloup, après s’être intéressé au cérémonial du café à la française, à se consacrer au rituel du thé. À l’époque dite Weimarer Klassik, celui-ci commençait à se répandre dans les cercles de l'élite bourgeoise. Il n’est donc guère étonnant que ce fût encore elle qui initiât son ami suisse aux diverses sources allemandes encore largement inconnues du grand public que voilà :


- Bertuchs Journal des Luxus und der Moden d’août 1788

- Bertuchs Journal des Luxus und der Moden de juillet 1793

- Le Goullons Der elegante Theetisch oder die Kunst einen glänzenden Zirkel auf eine geschmackvolle und anständige Art ohne grossen Aufwand zu bewirthen de 1829.

- Sophie von La Roches Tagebuch einer Reise durch die Schweiz de 1787

- Das Journal für Fabrik, Manufaktur und Handlung. Zweyter Band. Januar bis Juni de 1792.


Après s’être frayé un chemin à travers les lettres gothiques de ces sources en maniant ses diverses crayons , Heurteloup voulut mettre son savoir acquis en pratique. S’il avait l’intention de produire une nouvelle vidéo, il lui fallait donc éclaircir les points suivants:


- Quels ustensiles faut-il pour reconstituer une table à thé?

- Comment faut-il s’imaginer les étapes de la préparation et du service du thé?

- Quelle année se prête le mieux à la reconstitution d’une table à thé?

- Quel pourrait être le lieu du tournage pour la mise en scène d’une compagnie rassemblée autour du thé?


L’imagination de Heurteloup fut avant tout sollicitée par l’ « exemple de la vie bernoise» de l’auteure allemande Sophie de La Roche [1]: Dans son récit de voyage publié en 1787, l’écrivaine, dans ses souvenirs d'invitée ayant assisté à la scène, évoque une patricienne bernoise en train de préparer le thé:

La maîtresse de maison qui s’affaire autour de la table à thé est un spectacle plaisant à voir, il la met en valeur, surtout quand elle s’avère une personne adroite et aimable. Les nombreuses tasses, les sucriers, les flacons contenant du sirop capilaire, les deux types de boîtes à thé et de théières, le meuble joliment marqueté dont l’intérieur est recouvert de tôle et qui sert à recevoir la braise ainsi que la bouilloire qui se trouvent à côté d’elle, consacrent son rôle de souveraine de maison et d’hôtesse attentionnée. Celle-ci entoure tous ses invités de soins, les questionne et les sert tout en faisant de la tête, des mains et des doigts mille gestes agréables à l’œil. Si vous voulez vous faire une idée de cette société, figurez-vous la scène sous une arcade. Ce lieu offre depuis trois côtés une vue sur les jardins dans lesquels se promènent plusieurs personnes de cet illustre cercle d’hôtes. Ils boivent leur tasse de thé sous un arbre en tenant dans leur main des petits pains et ils profitent tout naturellement et en toute tranquillité et des fleurs et et de ce moment de l’après-midi avant de prendre place autour des tables à jeux. [2]


Ceux et celles qui ont déjà vu les hôtels particuliers bernois situés près de la cathédrale et s’érigeant au-dessus de l’Aar, s’imagineront sans difficulté les invités évoqués ci-dessus et les verront évoluer entre maison et jardins. Seront donc retenus de l’inventaire détaillé de la table à thé décrite par l’auteure La Roche en 1787 :


- Les tasses

- Les sucriers divers

- Les flacons contenant du sirop capilaire[3]

- Les deux boîtes à thé

- Les deux théières

- Le réchaud en bois marqueté et recouvert à l’intérieur de tôle de fer qui se chauffe à la braise pour faire bouillir l’eau du thé

- La bouilloire


Il va sans dire que pour un travail de reconstitution autour des pratiques liées au thé, il faut tenir compte du Journal des Luxus und der Moden de l’éditeur Bertuch. En effet, dans l’édition de l’août 1788, le lecteur trouve l’ensemble des ustensiles à thé alors à la mode.[4]


On constate que c’est l’urne à thé qui fait l’objet d’une description particulièrement développée:


Quelle: https://zs.thulb.uni-jena.de/receive/jportal_jparticle_00092971

Fig. 1 est l’illustration d’une machine à thé anglaise en cuivre patiné qui présente des ornements en argent ou en argent plaqué. Fig. 6. montre le robinet dont elle est pourvue et que, par souci d’exactitude, nous représentons à part. Les Anglais s’en servent pour y conserver l’eau chaude au moyen d’une barre de fer brûlante. Cependant, cette pratique s’avère quelque peu pénible puisqu'elle est souvent peu efficace. [5]


A la différence de la description que Sophie de La Roche fait des ustensiles à thé en 1787, trois autres composantes viennent s’y rajouter, à savoir :


- Le pot à lait

- La machine à thé

- Le flacon en cristal comme variante de la boîte à thé mentionnée par La Roche


La machine à thé, appelée ailleurs « urne à thé » fait également l’objet d’une commercialisation dans le Journal für Fabrik, Manufaktur und Handlung de 1792. Cependant, les éditeurs insistent sur un troisième moyen pour la préparation de l’eau chaude nécessaire au thé[6]:



Parmi les machines à thé anglaises, c’est avant tout une invention récente et facile à utiliser dont se servent ceux qui ne sont pas prêts à faire l’acquisition d’une urne à thé sous forme de vase souvent richement décorée. A leur place, on recourt à des bouilloires anglaises chauffées sur un brûleur à alcool. [7]


Cependant, cet élément est loin de clore l’inventaire à thé. En juillet 1793, Bertuch recommande dans son journal un élément d’ameublement pratique pour l’utilisation des urnes à thé récemment introduites en Allemagne:



Source: https://zs.thulb.uni-jena.de/receive/jportal_jparticle_00084625 De nos jours, ce type de sellettes à thé se trouve toujours en vente, surtout auprès des marchands britanniques. En revanche, il semble que ce type de meuble fût rare en France.

D’habitude, nous posons la machine à thé brûlante sur la table à thé. Ainsi, nous prenons non seulement le risque d'en endommager le plaquage mais nous nous privons encore de la place qu’il nous faut pour disposer les tasses et les ustensiles à thé. À défaut, ceux-ci se retrouvent souvent par terre. Les Anglais en revanche se servent de sellettes à urne qu’ils placent avec la machine à thé à côté de la table à thé ou dans quelque autre endroit commode. Il s’agit de petites tables rondes ou carrées dont nous donnons l’illustration sur la gravure 21, numéros 1 et 2. Elles sont en acajou, ont leur plateau vernis pourvu d’une galerie et sur le devant un petit tiroir plat (voir numéro 7) qu’on peut sortir pour y poser la bouilloire lorsqu’on veut la remplir d’eau chaude (voir plans 3 et 4). Sous le plateau de la sellette entre les pieds, on trouve un deuxième petit plateau tout léger (numéro 6) sur lequel on a l’habitude de poser la boîte à thé richement ornée (voir figure 5). [8]


Au sujet de la table à thé, c’est dans le texte de Le Goullon que le lecteur trouvera quelques précisions:


Communément, les tables à thé sont en acajou et pourvues d'un plateau à thé en tôle vernie et peinte. Les assiettes de présentation sont de la même matière ce qui, en terme d’hygiène, les rend même préférables à celles en argent. [9].


L’iconographie contemporaine montre que le plateau en tôle peinte dont Le Goullon dit qu'il fait partie intégrante de la table à thé peut également être remplacé par un « plateau à thé »[10]. En tout cas, c’est encore la lecture de Der elegante Theetisch de Le Goullon qui complètera l’inventaire à thé:


Après la disparition du petit service à thé japonais, les cuillères à thé ont pris des formes plus grandes et plus importantes. Elles sont souvent en vermeil, la plupart du temps en argent au même titre que le passe-thé. [11]


De plus, Le Goullon fait mention d’«assiettes et de plats servant à la présentation des accompagnements du thé»[12] ainsi que de jattes servant au rinçage des tasses à thé, aussi appelées «bols à rincer» [13].


Jean-Étienne Liotard, Nécessaire à thé, 1781-1783. Los Angeles, J. Paul Getty Museum, Source: http://www.getty.edu/museum/media/images/web/enlarge/00085401.jpg Sur le plateau en tôle peinte, on identifie le service à thé japonais traditionnel avec ses bols, sa jatte, sa théière, son pot à lait, sa boîte à thé, son sucrier, une assiette de présentation, les cuillères à thé et les pinces à sucre.

Or, en examinant l’iconographie relative au rituel du thé au 18e siècle, il semble que l’inventaire des ustensiles soit toujours incomplet. On remarquera l’absence des pinces à sucre souvent présentes sur les tableaux d’époque. En outre, le marché des antiquités anglaises prouve l'existence d'un type de cuillère particulière, à savoir la tea caddy spoon qui n'a d'autre fonction que de transférer le thé contenu dans la boîte à thé dans le fond de la théière.


En dressant le bilan après consultation de la littérature contemporaine et secondaire ainsi que de la vaste iconographie qu’offre le 18e siècle en matière de thé, nous pouvons établir la liste suivante:


- tasses

- sucrier(s)

- flacons avec du sirop capilaire ou du rhum

- boîte(s) ou flacon(s) à thé[14]

- une ou deux théières[15]

- soit une bouilloire qui se chauffe sur un réchaud contenant de la braise, soit une bouilloire chauffée au moyen d’un brûleur d’alcool, soit une urne à thé.

- un pot à lait

- une jatte (appelée aussi bol) à rincer les tasses

- une paire de pinces à sucre

- des cuillères à thé

- une tea caddy spoon

- des assiettes et des plats pour la présentation des accompagnements du thé

- un passe-thé

- un plateau à thé

- une table à thé

- une sellette à urne


Face à la quantité des ustensiles à thé requis, Heurteloup se sentit tout d’abord pris de vertiges. Cependant, vu l’imminence de la journée de ses quarante ans, il compta sur la générosité de son fidèle ami Claude-Nicolas qui allait sûrement lui faire quelques menus cadeaux. Collectionneur de porcelaine, il porta donc d’abord tout son intérêt sur les tasses : Allait-il, pour la vidéo, pouvoir se servir de celles dont il était déjà l’heureux propriétaire? Quelles étaient les formes qui prévalaient à la fin du 18e siècle ? A son grand dam, les monographies réputées lui opposèrent un mutisme qui l’exaspérait alors que l’iconographie lui semblait claire et unanime: Il paraît que le thé se servait surtout dans des bols. Toutefois, les explications de Bertuch qu’on trouve dans son journal de juillet 1793 ne semblent pas aller dans ce sens-là :


Le goût du jour exige que sur une table à thé on trouve une diversité de tasses. Celles-ci peuvent être plus ou moins de forme litron. Cependant, il faut que chacune se distingue par son décor et ses ornements de sorte que chaque buveur de thé puisse facilement identifier la sienne pour éviter toute confusion avec celle de son voisin. [16]


Qu’idéalement les tasses à thé présentent des décors peints ou des ornements individuels réclame également Le Goullon. En revanche, en 1829, il est loin de préconiser la forme de la tasse litron pour la dégustation du thé:


Les tasses elles non plus n’ont plus le droit se montrer sous leur forme première; elles ressemblent maintenant à des bols à offrande. Ainsi, elles sont décorées des sujets les plus agréables et représentent les dieux et les héros de la mythologie grecque ou des hiéroglyphes. Ainsi, elles n’offrent donc pas que du thé balsamique mais fournissent encore de la matière à la conversation. [17]


«Faute de rouler sur l’or, à l’impossible nul n’est tenu», se dit Heurteloup face à tant d’exigences en matière de tasses à thé. Mais un jour, en découvrant à travers la vitre d’un antiquaire biennois neuf bols à thé et leurs soucoupes, il ne résista pas et entra dans le magasin pour se mettre d’accord avec le marchand. Certes, son acquisition ne présente ni hiéroglyphes ni silhouettes mythologiques de la Grèce antique dans le goût Jasper de Wedgwood. Par contre, il avait trouvé un ensemble de bols parfaitement intacts dont la forme correspondait à celle qu’il avait identifiée dans l’iconographie du 18e siècle. [18] En ce qui concerne le sucrier, le pot à lait, les cuillères, le plateau et la boîte à thé ainsi que la jatte et les assiettes, il en possédait déjà. De même pouvait-il se vanter d’être l’heureux propriétaire d’une table bouillotte qui pouvait très bien faire office de table à thé. Mais il allait tout autrement de la machine à thé. Alors, le marché anglais lui en procura une. Elle datait même des années 1790. Or, à son grand déplaisir, l’argenture était fort élimée, le robinet coinçait et fuyait et l’odeur nauséabonde de l’intérieur lui fut intolérable. Une aubaine pour l’orfèvre bâlois à qui revenait le devoir de plonger la bonne vieille dame dans un bain de jouvence d’argent pour qu’elle recouvre son ancienne jeunesse.


L’urne à thé anglaise plaquée argent datant des années 1790, restaurée par l’orfèvre bâlois. Image: Fabrice Robardey

Bientôt après, une théière anglaise en argent vint lui tenir compagnie.


La théière anglaise de 1797 et la bouilloire de Claude-Nicolas. Au premier plan, on aperçoit la jatte à rincer et les bols en porcelaine de Paris ainsi que la boîte à thé anglaise des années 1790. Image: Fabrice Robardey

Le jour de ses quarante ans venu, Heurteloup reçut de son fidèle Claude-Nicolas une paire de pinces à sucre anglaises ainsi que la tea caddy spoon ardemment désirée.


La tea caddy spoon anglaise datant des années 1790. Image: Fabrice Robardey

Mais Monsieur de Feule n’en resta pas là : il se résolut à faire l’acquisition d’une bouilloire en argent qu’on peut réchauffer sur un brûleur à alcool. Heureusement pour son ami Heurteloup, il possède une petite collection de flacons. Ainsi, le projet de la vidéo du thé pouvait se réaliser malgré les étranges regrets de Heurteloup songeant toujours à la sellette à urne et surtout au réchaud évoqué par Sophie de la Roche sur lesquels il fallait tirer un trait.


Les pinces à sucre anglaise datant de la deuxième moitié du 18e siècle. Image : Fabrice Robardey

Enfin, l’heure était venue d'établir le programme de la préparation du thé. Comment les invités étaient-ils censés se retrouver autour de la table à thé ? Il fallait réfléchir à une petite histoire. Alors un article polémique contre la consommation du thé paru dans le Journal des Luxus und der Moden en août 1788 donna le branle à la rédaction du scénario: Un médecin allemand anonyme y vitupère contre les effets prétendument néfastes du thé[19]. C’est cette diatribe qui – bien que fortement élaguée – devait avoir sa place dans la vidéo sur le thé. Car derrière la critique du médecin se cache avant tout une critique culturelle qui vise un phénomène général marquant le continent d'alors, à savoir l’Anglomanie. Ce fut dans son sillon que la consommation du café se vit sensiblement diminuer. [20] Quelle entrée en matière! A plus forte raison que, dans son discours sur les mauvais danseurs, Heurteloup avait déjà fait ses preuves dans le rôle du grand-papa ronchon. À sa grande surprise, il se fera inviter, lui le détracteur de l’Anglomanie francophile, par son amie Madame Reeves. Cette invitation lui vaudra quelques surprises qui l’ébranleront quelque peu dans ses convictions et valeurs propres à la bonne Allemagne d’autrefois. Mais ce n’est pas tout. A la fin du thé, une invitée anglaise, Madame Smyth, lui en fera voir de toutes les couleurs. Voilà l’histoire qui vous attend. Cependant, le regard du spectateur se concentrera sur la personne de la maîtresse de maison avec ses « mille gestes agréables à l’œil » admirés par Sophie de La Roche. C’est elle qui lui montrera comment, toujours d’après Le Goullon, le thé est censé être préparé et servi dans les règles de l’art.


Pour une fois, Heurteloup se montre trop paresseux de rendre ici fidèlement toutes les étapes de ce rituel et se permet de renvoyer le lecteur à la publication de Le Goullon tout en lui recommandant la prochaine vidéo des Soirées Amusantes. Car il faut bien que le lecteur garde un reste de curiosité pour avoir envie de la regarder. Néanmoins, il voudrait tout de même aborder un dernier point, à savoir le thé lui-même ! Ainsi, toujours selon le Goullon, seuls quatre types de thé entrent en ligne de compte pour un cercle d’élite, à savoir le Haysan, Le Schin, le Soulong et Pecco. Mais comme, dans la vidéo, le thé ne réunira qu’un petit nombre d’invités, il n’y aura pas de deuxième théière et l’hôtesse misera sur le Pecco pour contenter ses amis.


Or, quelle année pouvait se prêter à la reconstitution du rituel du thé ? Il y a des années, Madame Reeves avait fait découvrir à Jean-Gatien une peinture de l’artiste suisse Reinhard. Ce tableau représente une famille qui prend le thé. Fasciné, Heurteloup ne se lassait pas de contempler la maîtresse de maison avec son bonnet gigantesque assise près du réchaud à braise et qui empoigne la bouilloire pour infuser le thé. C’est ainsi qu’il s’était imaginé la patricienne bernoise dont Sophie de La Roche fait mention dans son récit de voyage. Cependant, en dépit des habits démodés des membres de famille, le tableau date de 1796. Mais, sachant que son amie Alessandra allait plus facilement se laisser convaincre pour une reconstitution années 1790 et qu’en plus en 1793 Bertuch avait consacré à nouveau une édition de son journal au thé, c’est cette année qu’il proposa pour son projet de reconstitution.


La famille bernoise Dupan prenant le thé, Josef Reinhard 1796, Historisches Museum Bern. Image: Alessandra Reeves. Le service à thé japonais des Dupan est complètement démodé par rapport à l’époque. A gauche, on distingue le réchaud contenant les braises évoqué par Sophie de La Roche et qui sert à réchauffer la bouilloire.

Enfin, l’heure fut venue de trouver un lieu pour le tournage. Le musée de la Folie Marco de la petite ville alsacienne de Barr accepta d'accueillir Les Soirées Amusantes pour mettre généreusement leurs lieux à leur disposition. Au premier étage de cette ancienne maison de plaisance se trouve un salon Louis XV qui avec son mobilier se prêtait à merveille à figurer un salon patricien démodé de Bernois conservateurs. Or, juste quelques jours avant le jour du tournage se produisirent, malgré des obstacles inattendus, quelques petites et grandes surprises. Ainsi, la muse de Weimar, Sabine Schierhoff, fit se produire un miracle dans cette histoire de tournage qu'elle avait parrainée dès ses débuts : elle réussit à dénicher pour Les Soirées Amusantes le réchaud à braise auquel Heurteloup dans son fors intérieur avait déjà fait ses adieux. La veille du tournage, au bout de 230 ans, le meuble lui parvint depuis l’Allemagne pour revêtir à nouveau sa fonction initiale! Inutile de préciser que Jean-Gatien, ne pouvant pleinement mesurer ce coup du ciel, fut aux anges. Une autre surprise eut lieu lorsque Madame Marianne Meyer d’Aarau réussit à enfiler une de ces robes en chemise que, deux années plus tôt, il avait faite pour une musicienne. Par surcroît, la jolie Argovienne parut prendre plaisir à porter le bonnet surdimensionné de Madame Dupan que pour l’occasion il avait confectionné la veille.


A gauche, Madame Marianne Meyer dans sa robe en chemise, portant le bonnet géant de Madame Dupan. Au milieu, Madame Smyth fidèle à la mode des Anglaises et, à droite, la maîtresse de maison, Madame Reeves, dans sa robe à la Turque préparant le thé. Le musée de la Folie Marco ne compte pas de sellette à urne dans sa collection mais dispose de tables bouillotte caractéristiques de l’art de vivre à la française et qui s’avère très pratiques pour la préparation du thé. La table à jeu qu’on voit au milieu du salon n’est pas sans rappeler la table à thé Louis XV démodée de la famille Dupan. Image : Fabrice Robardey

Parmi les obstacles inattendus, il faut mentionner le temps limité de 4 heures pour désemballer et mettre en place tous les éléments nécessaire au tournage, pour répéter et tourner les scènes et pour vider les lieux. A cela s’ajoute que tant Mme Reeves que Mme Meyer souffraient d’une sévère grippe, l’une ayant de la fièvre, l’autre souffrant d’une toux douloureuse. Qu’en plus les 30°C de température intérieure n’apportassent pas la fraîcheur qu’on eût souhaitée en maniant l’eau chaude, coule de source.


L'hôtesse Madame Reeves se reposant enfin après le rituel de la préparation du thé en compagnie de ses deux amies et de son invité Heurteloup qui, avec quelque retard, s’est joint à son cercle intime. Image: Fabrice Robardey

Littérature contemporaine :

BERTUCH, Friedrich Justin : Journal des Luxus und der Moden, Weimar, août1788.

BERTUCH, Friedrich Justin : Journal des Luxus und der Moden, Weimar, octobre 1788.

BERTUCH, Friedrich Justin : Journal des Luxus und der Moden, Weimar, juillet 1793.

LE GOULLON, François : Der elegante Theetisch oder die Kunst einen glänzenden Zirkel auf eine geschmackvolle und anständige Art ohne grossen Aufwand zu bewirthen, Weimar, Wilhelm Hoffmann, 1829.

LA ROCHE, Sophie, Tagebuch einer Reise durch die Schweiz, Altenburg, Richtersche Buchhandlung, 1787.

Journal für Fabrik, Manufaktur und Handlung. Zweyter Band. Januar bis Juni, Leipzig, Voss und Leo, 1792.


Littérature secondaire

ENNÈS, Pierre et al.: Histoire de la table, Paris, Flammarion, 1994.

HERDA-MOUSSEAUX, Rose-Marie et al.: Thé, café ou chocolat? Les boissons exotiques à Paris au XVIIIe siècles, Paris, Musée Cognac-Jay, 2015.

PLINVAL DE GUILLEBON, Régine de: Faïence et porcelaine de Paris XVIIIe – XIXe siècles, Paris, éditions Faton, 1995.

[1] LA ROCHE, Sophie, Tagebuch einer Reise durch die Schweiz, Altenburg, Richtersche Buchhandlung, 1787, p. 365.

[2] Idem, p. 366

[3] Dans le journal de Munich du 18 janvier 1786 se trouve une explication sur la nature de ce sirop: «On le trouvera auprès du Sieur Niklas Reitter, confiseur, on peut l’acquérir parmi d’autres confiseries de qualité, fabriquées d’après des recettes sûres et expérimentées et utiles contre la toux et les bronches enflammées. Le flacon se vent 36 couronnes.» Que dans les années qui nous concerne, on servît systématiquement ce type de sirop avec le thé, nos lectures ne permettent pas de l’établir. LSA remercient Sabine Schierhoff de toutes ses recherches au sujet de ce détail tout comme du reste de ces contributions de recherche.

[4] BERTUCH, Friedrich Justin : Journal des Luxus und der Moden, August 1788, Weimar, p. 340.

[5] BERTUCH, Friedrich Justin : Journal des Luxus und der Moden, August 1788, Weimar, p. 341.

[6] L’aquarelle «Madame la marquise de Montesson, Madame la marquise du Crest et Madame la Comtesse de Damas prenant le thé dans un jardin » de Louis Carrogis dit Carmontelle datée de 1773 montre que ce type de bouilloire était déjà en usage en France bien avant les années 1790, voir HERDA-MOUSSEAUX, Rose-Marie et al.: Thé, Café ou chocolat? Les boissons exotiques à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Musée Cognaq-Jay, p. 6.

[7] Journal für Fabrik, Manufaktur und Handlung. Zweyter Band. Januar bis Juni, Leipzig, Voss und Leo, 1792, VII. Anzeige neuer Handlungsartikel, p. 283, à comparer avec LE GOULLON, François: Der elegante Theetisch oder die Kunst einen glänzenden Zirkel auf eine geschmackvolle und anständige Art ohne grossen Aufwand zu bewirthen, Weimar, Wilhelm Hoffmann, 1829, p. 15.

[8] BERTUCH, Friedrich Justin: Journal des Luxus und der Moden, Julius 1793, Weimar, p. 407, à comparer avec LE GOULLON, François: Der elegante Theetisch oder die Kunst einen glänzenden Zirkel auf eine geschmackvolle und anständige Art ohne grossen Aufwand zu bewirthen, Weimar, Wilhelm Hoffmann, 1829, p. 16.

[9] LE GOULLON, François: Der elegante Theetisch oder die Kunst einen glänzenden Zirkel auf eine geschmackvolle und anständige Art ohne grossen Aufwand zu bewirthen, Weimar, Wilhelm Hoffmann, 1829, p. 14

[10] Ebd. Une lecture de Le Goullon semble confirme cette pratique alternative.

[11] Idem, p. 17.

[12] Ebd.

[13] Idem, p. 15.

[14] Nous signalons que le service à thé, à café et à punch de Napoléon I contient également un flacon en cristal, voir ENNÈS, Pierre et al.: Histoire de la table, Paris, Flammarion, 1994, p. 235.

[15] Le service Napoléon I se compose lui aussi de deux théières (alors qu’il ne compte qu’une seule cafetière), voir ENNÈS, Pierre et al., ibid.

[16] BERTUCH, Friedrich Justin: Journal des Luxus und der Moden, Julius 1793, Weimar, p. 407.

[17] LE GOULLON, François: Der elegante Theetisch oder die Kunst einen glänzenden Zirkel auf eine geschmackvolle und anständige Art ohne grossen Aufwand zu bewirthen, Weimar, Wilhelm Hoffmann, 1829, p. 14.

[18] Quand bien même la manufacture royale de porcelaine produisait dans les années 1730 déjà des services tels que le « cabinet doré » qui semble se composer de trois types de tasses différentes, le nécessaire à thé, chocolat et café offert par Louis XV à la reine Marie Leczinksa en 1729 ne contient que deux types de tasses (voir HERDA-MOUSSEAUX, Rose-Marie et al. p, 15 et p. 57). La question de la bonne forme de la tasse à thé pour la reconstitution historique demeure donc irrésolue, surtout en ce qui concerne les pratiques bourgeoises. La littérature secondaire consultée ne fournit pas de réponses satisfaisantes à ce sujet. Dans le catalogue Thé, café ou chocolat ? plusieurs modèles de tasses se trouvent juxtaposées sans que les auteurs aient pris la peine d’en définir la fonction. De même Ennès dans sa monographie Histoire de la table ne fournit-il pas de détails sur la fonction des diverses formes de tasses coexistant. Régine de Plinval elle non plus n’y apporte pas la lumière espérée. Toutefois, il semble qu’une différenciation de la fonctionnalité des diverses formes de tasse ne se soit imposée qu’au cours du premier tiers du 19e siècle. Avant cette époque, il paraît – du moins en France – que les deux formes de tasse – litron et bols – pouvaient servir aussi bien au service du café qu’à celui du thé. Cette pratique est confirmée par le fait que les services du 18e et du début du 19e siècle encore en vente se composent souvent de deux verseuses clairement différentes (cafetière et théière) tout en ne présentant qu’une forme de tasse. D’autre part, plusieurs représentations françaises du 18e et du début du 19e siècle montrent que le thé et le café pouvaient aussi bien se consommer dans des bols que dans des tasses litron. Cependant, sur les natures mortes représentant le thé, ce sont les bols qui priment.

[19] BERTUCH, Friedrich Justin : Journal des Luxus und der Moden, Weimar, August 1788, p. 336 – 340, Oktober 1788, pp. 409 – 414.

[20] Cette critique culturelle se retrouve à nouveau dans l’édition de juillet 1793: BERTUCH, Friedrich Justin: Journal des Luxus und der Moden, Julius 1793, Weimar, p. 407.

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